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Les langues et l’éducation à la paix

Publié par Pénélope Venskus le

Les langues et l’éducation à la paix

Une éducation complète consiste à bien plus qu’un simple apprentissage de notions théoriques. Éduquer des enfants, c’est aussi leur apprendre à vivre en société, c’est leur apprendre à faire partie du monde. C’est transmettre les valeurs fondamentales de notre société aux futures générations. Dans notre société démocratique, nous valorisons une éducation à la paix. 

Éduquer à la paix, cela ne se fait pas comme enseigner les mathématiques. La paix n’est pas une série de connaissances à retenir, mais bien un principe directeur, une orientation morale qui guide nos actions. Il s’agit plutôt de transmettre un savoir être qui favorise le respect, l’entraide et la compassion. Ce type d’apprentissage demande du temps et se fait souvent sous le couvert d’un autre enseignement, comme apprendre une autre langue.

Apprendre une langue étrangère est l’un des meilleurs moyens pour éduquer à la paix. En effet, lorsqu’on apprend une langue, on rencontre en même temps une autre culture. On peut voyager pour découvrir une autre culture, mais étudier sa langue nous influence beaucoup plus profondément, parce que chaque langue porte en elle une compréhension du monde qui lui est propre. Se frotter à une vision du monde différente de la nôtre ouvre les limites de notre pensée en nous montrant une autre manière de se rapporter aux objets et aux personnes.  

Par exemple, en français, nous disons « Attention à la marche! » pour prévenir quelqu’un d’un risque de chute dans un escalier. L’accent de la phrase est mis sur la marche, qui représente un danger potentiel pour la personne. Dans la même situation, en anglais nous dirions plutôt « Watch your step! » Ici, le mot « step » se traduit par « pas ». L’accent de la phrase est mis sur la personne qui fait le pas plutôt que sur l’objet. Cet exemple banal révèle une différence intéressante entre le français et l’anglais dans cette situation. La phrase en anglais sous-entend que la personne est responsable de son bien-être, puisque c’est elle qui pose le pas, tandis qu’en français la personne est victime du danger de la marche. En anglais, le sujet est actif tandis qu’il est passif en français. Il s’agit là d’une vision du monde différente entre les deux langues, qui nous apprennent quelque chose sur les gens appartenant à une culture qui les parlent.   


L’intérêt de s’attarder à ce type d’analyse consiste dans les nuances et les différences dans l’expression d’une même situation pour les deux langues. Au fil de notre apprentissage, nous remarquons davantage ce type de nuances. Peu à peu, une nouvelle conception du monde prend forme dans notre esprit, qui se mêle à celle de notre langue maternelle. Ce mélange assouplit notre pensée, et nous permet de nous imaginer plus facilement dans les souliers des autres.

 


Lorsqu’on commence à comprendre comment une personne d’une autre culture pense, cette personne devient concrète pour nous. Un portrait plus sincère et juste remplace celui abstrait ou caricatural construit par les préjugés que nous portions sur elle. Plus nous comprenons comment l’autre pense, plus nous pouvons établir des points de ressemblances avec elle et plus la distance culturelle qui nous sépare s’amincit. Autrement dit, apprendre la langue d’une autre culture nous ouvre aux autres en concrétisant l’humanité que nous partageons. Et c’est précisément de cette manière que l’apprentissage d’une langue étrange est simultanément un apprentissage de la paix, parce que lorsqu’on connait une personne ou un peuple, il est très difficile de les haïr, comme le dit très bien Henri Bergson : « Celui qui connaît à fond la langue et la littérature d’un peuple ne peut pas être tout à fait son ennemi».

Ainsi, apprendre une autre langue, c’est nous insérer dans une autre culture et dans une autre conception du monde. Cet exercice assouplit notre pensée et nous dévoile l’humanité de l’autre. Lorsque nous pouvons imaginer comment une personne de culture différente pense, c’est que nous la comprenons, et l’autre, finalement, n’est plus si étranger que cela. Il est facile de détester une personne ou de mépriser une culture que nous ne connaissons pas. Mais à partir du moment où nous éprouvons une certaine sympathie envers elles, ce qui se produit lorsqu’on étudie une langue, le mépris et la haine font place au respect et à la compassion. C’est pourquoi une éducation complète, qui vise à promouvoir la paix, s’attarde à l’apprentissage des langues secondes. 

 

Autrice: Roxanne Deschesnes, étudiante à la maîtrise en philosophie et tutrice chez Mon Tuteur

 

 

Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, Presses Universitaires de France, Paris, 2013, p. 304-305.




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